Vallée Stoffler : témoignage d’une « guerrière » qui a vaincu le cancer du sein
SON EXPÉRIENCE FACE AU CANCER DU SEIN
« LA VIE EST AUSSI FACILE QU’UNE POP SONG »
Alors qu’elle s’apprête à signer son 4e album, Vallée a 38 ans en 2003 quand elle connaît une perte de cheveux inquiétante, et surtout un gros coup de fatigue inédit pour celle qui a une bonne forme physique et une énergie débordante, héritage de ses années de championne de gymnastique.
« C’est lors d’une soirée épuisante avec une amie et les enfants que mon corps m’a transmis un signal. » Aux nouvelles douleurs s’est ajouté du sang dans ses urines.
« Quelque-chose ne va pas » lui intime son corps, et c’est lors de son passage aux urgences que le médecin lui conseille de faire un bilan.
« SI ON NE FAIT RIEN, VOUS SEREZ PARTIE DANS 1 AN »
C’est avec sa fille de 3 ans que Vallée va faire une échographie et une mammographie : « c’est très désagréable, j’étais mal à l’aise de voir mes seins écrasés. » Bilan : une tâche qui va bouleverser sa vie.
« Tout est allé très vite » : biopsie faite, une opération est organisée dans la foulée. « Je n’ai pas le temps, j’ai un album à promouvoir » s’écrit-elle. Le médecin lui répond : « si on ne fait rien, vous serez partie dans 1 an ». Le cancer du sein qui lui a été diagnostiqué est très avancé, il en est déjà au stade II.
« QUARTÉ GAGNANT »
Ablation de la tumeur, détourage du mamelon gauche, curage axillaire et ganglions retirés, chimiothérapie, radiothérapie puis hormonothérapie… « Ce fut un parcours complètement dingue » pour celle qui a multiplié les complications et qui dit avoir eu droit au « quarté gagnant », selon ses propres mots.
Pour autant, Vallée développe une forme de curiosité face à sa maladie, cherche à comprendre pourquoi et comment on la traite… et comment elle va réagir. « Je me suis demandé comment j’allais être capable de supporter l’épreuve, comment j’allais encaisser psychologiquement. » Pour elle, cela passera par une forme de jeu de rôle, où Vallée se met en scène « comme si une caméra me filmait ».
LA RÉCIDIVE
En 2008 et après 18 mois de rémission, le même cancer rattrape à nouveau Vallée. Celle qui était fière d’avoir tenu le coup n’a plus cet attrait de la nouveauté et constate l’inefficacité du premier traitement : « cela n’a pas marché la première fois, alors j’ai voulu combattre le cancer à ma manière ». Ainsi, elle refuse les traitements et choisit la mastectomie de son sein gauche, avec reconstruction par la pose d’une prothèse.
Une prothèse PIP. Comme tant de femmes victimes de cette société peu scrupuleuse (elles furent 30 000 victimes de PIP en France), Vallée subit 2 années durant des brûlures constantes, un sein devenu violet qui lui fait mal « comme un bol à l’envers, empli d’acide », avant que la prothèse ne lui soit enfin retirée.
« LES FEMMES SONT SOUVENT SEULES FACE AU CANCER DU SEIN »
LA PEUR DU CANCER… DANS LES YEUX DES AUTRES
De son premier combat contre la maladie, Vallée a le sentiment « d’avoir été oubliée dans un coin, dans une gare désaffectée sans savoir si je pourrai reprendre le train un jour ». La plupart de ses ami.e.s se font distant.e.s, à l’image de celle qui lui confiera plus tard « le millier de fois où j’ai voulu t’appeler »… et ne l’aura jamais fait. Heureusement les meilleurs sont présents !
« Il y a une peur de la perte qui s’installe dans l’esprit des proches : ils ont peur de nous perdre et préfèrent prendre leurs distances. » Une peur de ne pas être à la hauteur non plus, « alors qu’il suffit d’être là et de ne pas forcément nous considérer que par le prisme de la maladie ». Une peur de la maladie elle-même enfin : « on m’a souvent demandé comment j’avais attrapé mon cancer ». Le cancer ne s’attrape pourtant pas. « La maladie fait partie d’un quotidien qui peut tomber sur tout le monde. »
Côté professionnel aussi, la peur des autres fige sa propre vie. Alors que Vallée était connue et reconnue pour toujours finir quoi qu’il en coûte un chantier ou un projet (jusqu’à passer 2 jours continus à finir un décor avec une fracture du scaphoïde, le pied bandé au scotch gaffer), les commanditaires n’appellent plus. Elle qui parlait naturellement de son cancer et de son « look chimio » se souvient encore du témoignage d’une consœur : « Ils ont pensé que tu risquais de nous lâcher, c’était trop risqué ». Double peine.
LA FROIDEUR CLINIQUE DES MÉDECINS ET DE L’ADMINISTRATION
« Les médecins s’intéressent à la maladie, pas aux malades ». Ce jugement sévère, Vallée l’a développé d’expérience comme au travers des témoignages de toutes les patientes qui ont combattu le cancer du sein comme elle. « Rien ne nous prépare à l’analyse froide », aux diagnostics du corps médical. « J’avais l’impression d’être un morceau de jambon posé sur une machine à trancher, prête à être découpée par petits morceaux » renchérit-elle.
À l’image de ses déboires avec l’administration (affaiblie par les traitements et la chimiothérapie, elle devra se battre contre l’administration qui perd les documents et cherche tout détail pour bloquer sa situation), Vallée porte un regard très critique sur l’accompagnement hospitalier des femmes qui commencent leur parcours de soin : « rien ne nous prépare à ce qui va arriver, les femmes sont souvent seules face au cancer du sein ».
« PLUS C’EST GRAVE, PLUS IL FAUT ABSOLUMENT EN RIRE »
Dès son premier traitement, Vallée a décidé de devenir actrice de ce nouvel acte de sa vie, et joue les « pitres » : « plus c’est grave, plus il faut absolument en rire » résume-t-elle. Alors qu’elle arrive en salle d’attente pour sa radiothérapie, c’est par exemple avec un tee-shirt orange floqué d’une tête de mort, du signe de la radioactivité et du slogan « hautement irradiée » qu’elle débarque. Au milieu d’autres dames en attente de leur traitement, la jeune femme détonne et étonne… elle inspire aussi.
Dans la salle d’attente, Vallée dessine sur son bloc-notes « des guerrières », des femmes fortes qui font face. « Ce n’était pas de la réflexion, je retransmettais mes émotions, ma colère et mon sentiment d’injustice. C’était une forme de catalyseur. » Et cette autre femme de lui dire qu’elle aurait aimé avoir ce don du dessin pour, elle-aussi, coucher sur papier et calmer ses angoisses. « Il y a eu quelque-part un déclic : il me fallait en parler avec mon art, et quelque-part aider les autres femmes victimes de ce cancer. »
Celle qui aura longtemps posé comme modèle pour des photos artistiques et de nu a souhaité, dès le début de son cancer en 2003, « documenter un corps qui change ». Au sortir de la salle d’opération comme lors de son retour à la maison, avec son cathéter et sa poche, ou le crâne rasé suite au traitement, Vallée pose pour un ami photographe Grégor Podgorski. « Je voulais accueillir l’état de souffrance supérieure qu’est le changement du corps, en être consciente. »
L’occasion aussi d’appréhender son enveloppe physique, de prendre sa différence comme une fierté, permettre l’acceptation de soi-même, même face à l’inconnu. « À chaque photo j’acceptais qui j’étais à l’instant présent, et le fait que mon corps allait peut-être subir d’autres changements. »
ACCOMPAGNER LES FEMMES À L’AUBE DE LEUR PARCOURS DE SOIN
Très vite, Vallée passe du temps à l’Institut Gustave Roussy, premier centre de lutte contre le cancer en Europe et épicentre français de la recherche contre le cancer du sein. Elle accompagne ainsi par sa présence et ses conseils les nombreuses femmes qui débutent ce long voyage thérapeutique contre le cancer.
Conférences, expositions, émissions de télévision, Vallée s’engage pour parler et faire parler les femmes sur leur rapport à la maladie et au corps. « Appréhender son corps et ce qui lui advient, mais aussi expliquer sa propre expérience du traitement, c’est vital. Et d’une certaine manière, c’était une forme de catharsis pour moi. »
« DITES 33 ! »
Avec son amie de longue date Bleue, qui a subi en 2009 une double mastectomie, Vallée décide de créer « Dites 33 ! », une exposition ambitieuse qui matérialise « le parcours émotionnel d’une guerrière moderne » confrontée à la maladie, dont un extrait aura été présenté sous forme de performance artistique lors de la Nuit Blanche d’Octobre Rose en 2011. « Nous voulions planter le clou », explique Vallée, qui cherchait à synthétiser et concrétiser en 33 étapes et 33 salles ce que peut vivre une femme face au cancer du sein.
La première salle résume bien, selon elle, les ressentis et émotions d’une femme à qui l’on annonce un cancer du sein, mais aussi le rapport à son corps. Entrant dans une pièce à travers des lanières plastiques comme celles des laboratoires de boucherie, le visiteur se retrouve confronté à des silhouettes nues collées au mur, surmontées par des miroirs ne laissant réfléchir que le visage du spectateur. « Je voulais interroger chaque personne sur son propre rapport au corps, et à l’image que ce dernier renvoie en nous. »
Elle continue : « la maladie arrache une part de nous autant que les opérations chirurgicales, et la première étape reste d’appréhender et d’accepter que son corps subira, inéluctablement, des changements ». Appréhender un corps qui change et les altérations psychologiques que cela peut entraîner est pour elle une des clefs d’équilibre pour les malades du cancer du sein : « Le pire n’est jamais décevant », elle conclue.
PRÉVENIR, PLUTÔT QUE GUÉRIR ?
IL Y A 15 ANS, LE DÉSERT DE L’INFORMATION SUR LE CANCER DU SEIN
Lorsqu’elle a été diagnostiquée, Vallée a cherché à se renseigner sur Internet, comme tout le monde. A l’époque où les sites d’information et plus généralement le web reste très embryonnaire, elle est tombée sur des témoignages « plus que glauques ». Un choc pour celle qui découvrait sa maladie et cherchait des réponses et informations. « Je me suis retrouvée à ne lire que des témoignages de femmes qui racontaient dans le détail tous leurs symptômes, les opérations subies, les traitements et leurs effets médical. Cela m’a presque traumatisée. »
Que pense-t-elle de l’information que l’on trouve à présent sur Internet à propos du cancer du sein ? « Il y a eu depuis de nombreuses initiatives tant des pouvoirs publics que des associations et regroupements de femmes pour permettre à celles qui découvrent leur cancer d’être mieux informées, voire accompagnées via ce que l’on trouve sur les réseaux sociaux, ou localement. » Une bonne chose pour celle qui, en son temps, a été obligée de tout découvrir sur le fait, ou à l’hôpital, notamment grâce au Docteur François Rimareix.
LE CANCER DU SEIN, VERSION « JEUNE ET JOLIE »
À l’hôpital, Vallée découvre Rose Magazine, édité par l’association Rose Up. Si elle reconnaît que cela permet à beaucoup de femmes de continuer à appréhender une vie quotidienne pendant et après la maladie, elle regrette que cela ne soit pas diffuser en kiosque et pas seulement « pour les malades du cancer », axé sur le mieux-être. « Cela ne prépare pas encore suffisamment aux différentes étapes de la maladie, à ce parcours psychologique intense ».
Alors que de nombreuses stars internationales parlent ouvertement de leur cancer, Vallée regrette que le cancer du sein se soit autant banalisé, au point de lire parfois « qu’on en meure plus », et de lire partout dans les magazines des astuces pour « mieux vivre sa maladie ». « Il faut la tuer, cette maladie, pas la vivre ! » s’écrit-elle. Si elle reconnaît que cela a contribué à sensibiliser les jeunes femmes à la nécessité de se faire dépister et à procéder à l’autopalpation, elle regrette aussi les éventuelles dérives de la banalisation.
Et à elle de parler de ce nouveau phénomène venu des Etats-Unis que sa fille de 20 ans lui a raconté : décider de subir une mastectomie à titre préventif, quand bien-même les jeunes filles n’ont pas de facteurs de risque particuliers. « Je ne sais pas si cela est dû à la décision d’Angelina Jolie qui a décidé l’ablation de ses 2 seins en 2013 » (elle venait d’apprendre qu’elle était porteuse du gêne BRCA 1, aggravant le risque de développer un cancer féminin), reste que ce phénomène de la culture du corps parfait à l’heure des réseaux sociaux lui pose question.
Question posée par ailleurs par les décisions des filles de Annick Goutal, décédée de ce cancer, dont l’une a eu recours à cette double mastectomie préventive et l’autre non. L’espoir de ne pas être touchée ou la peur d’y être confrontée. Vaste sujet de réflexion.
DES MALADES DE PLUS EN PLUS NOMBREUSES, ET DE PLUS EN PLUS JEUNES
« Le cancer peut toucher tout le monde, à tout âge. » Si Vallée était la plus jeune des patientes qu’elle croisait durant ses traitements à l’Institut Gustave Roussy, l’on constate à présent que le cancer du sein touche des jeunes filles de plus en plus jeunes, à peine nubiles. « Il est difficile de déterminer la cause de cette augmentation et de la baisse de l’âge moyen des femmes malades. L’exposition à de plus grands nombres de produits chimiques et transformés, en gros la malbouffe et les sodas à outrance, le sirop de glucose tout comme la pollution, me semblent des facteurs évidemment aggravants. »
Autre point explicatif, la multiplication des tests de dépistage et l’efficacité de la politique de prévention : « Le bon côté de la médaille qu’est la banalisation du cancer du sein, c’est que les jeunes femmes sont de mieux en mieux informées sur cette maladie, et les bons réflexes pour vérifier que tout va bien. » La multiplication des dépistages explique aussi certainement en partie la hausse du nombre de cas : « plus on cherche, plus on trouve », commente Vallée, qui se souvient d’une conversation qu’elle avait eu avec un professeur de l’Institut Pasteur. En substance, il disait que de nombreux cancers se développent et se résorbent, voire disparaissent d’eux-mêmes.
« Avec la hausse des dépistages et donc du nombre de cas recensés, le nombre de traitements augmentent aussi. » Et si Vallée s’en est finalement sortie la seconde fois sans traitement, elle conclue : « je ne souhaite à personne de faire face au cancer du sein. Mais si tel est le cas, et même si chacun peut trouver sa voie de guérison, il ne faut jamais abandonner et faire face ! »
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Aujourd’hui, Vallée continue sa carrière artistique polymorphe, entre arts plastiques et musique, et va notamment sortir un album cette année, Premier Cri, à écouter ici : https://vallee.bandcamp.com/album/premier-cri
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Propos recueillis par Olivier MIGNOT
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